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Le colza français dans le doute

Gonzague Defois

Cela fait deux automnes de suite que les semis de colza se passent mal dans l’Hexagone. C’est fâcheux, d’autant que les cours se portent bien et que les industriels sont demandeurs d’une graine origine France.

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«C’est pire que l’année dernière, on va encore perdre 20 % de surfaces », se désole un OS du centre de la France. Pour la deuxième fois consécutive, la sole française de colza est affectée par de très mauvaises conditions d’implantation : une sécheresse tardive, suivie d’une séquence pluvieuse qui n’en finit plus cette année. Selon les estimations d’Agreste en décembre, « la sole de colza d’hiver baisserait de 4,9 % sur un an et de 26,8 % par rapport à la moyenne 2015-2019 pour s’établir à 1,05 Mha, au plus bas depuis 2002 ».

Des collectes jusqu’à 66 %

Cette situation intervient après une récolte 2019 déjà calamiteuse, en baisse de 31 % à 3,44 Mt contre 5 Mt, en raison d’une sole nationale en chute de 29,5 %, dans beaucoup de cas non compensée par une hausse de rendement. Malgré tout, chez Centre ouest céréales (Coc), la collecte de colza n’est en retrait que d’un tiers, alors que la baisse de surface atteint près de 50 %. Chez Dijon céréales en revanche, la collecte recule de 47 %. Coopaca, dans l’Allier, annonce  60 % et île de France Sud évoque carrément une production divisée par trois, soit la plus faible depuis 25 ans.

Le stress hydrique prononcé au moment du remplissage a également conduit à une concentration de la protéine dans la graine aux dépens de l’huile. Ainsi, selon l’observatoire sur la qualité des graines de colza collectées en France, la teneur en protéines, à 39,2 %, est élevée, et celle en huiles, à 43 %, est pénalisée, mais finalement pas très loin de la moyenne quinquennale (43,6 %). La teneur en eau est exceptionnellement basse, à 6,2 %, valeur la plus faible enregistrée depuis le début de l’enquête en 1991.

Chère huile de palme

Si la situation est particulièrement alarmante en France, « la production européenne de colza est à son plus bas niveau depuis 13 ans en raison de la sécheresse estivale », indique FranceAgriMer. En conséquence, la trituration de colza est affectée. Les industriels tentent bien de compenser par du tournesol ou de se tourner vers l’Australie et le Canada, mais la production de canola canadien est elle-même en repli de 8 % par rapport à l’an passé et la récolte australienne s’annonce comme la plus mauvaise depuis dix ans.

Il n’en fallait pas tant pour que les cours du colza bondissent. L’échéance février 2020 sur Euronext a d’ailleurs enfin franchi la barre des 400 €/t mi-décembre, au niveau d’avril 2017. Surtout, ces cours sont dans le sillage de ceux de l’huile de palme, qui ont flambé de 28 % entre octobre et décembre. Ces derniers sont au plus haut depuis deux ans en raison de bilans très tendus qui combinent une baisse de la production avec une augmentation de la demande d’incorporation dans les biocarburants en Indonésie et en Malaisie.

« On aurait pu espérer que les fondamentaux du colza nous propulsent sur un prix au-delà de 400 €/t, regrettait Hervé Courte, DG d’île de France Sud, le 5 décembre. Malheureusement, les prix du pétrole et des huiles, relativement bas, cumulés aux différends commerciaux entre les États-Unis et la Chine, n’ont pas encore permis au marché du colza de davantage progresser. La campagne est loin d’être terminée, le déficit en graines reste conséquent. Allons-nous nous tourner davantage vers l’importation de canola OGM canadien malgré la réticence de l’opinion publique ? Ou triturer davantage de tournesol des pays de l’Est ? Ou simplement mettre nos usines en sommeil ? L’avenir nous le dira. Sur la future récolte, les signaux sont au vert. L’augmentation des surfaces européennes reste trop faible pour prétendre à une production qui couvrirait les besoins des triturateurs. Le marché du colza pourrait rester porteur jusqu’en début de campagne prochaine. »

Impasses techniques

En dehors du contexte climatique, la Fop et Terres Inovia soulignent que produire du colza est devenu particulièrement difficile dans certains secteurs : « Un choix trop limite de solutions de traitement et le développement de résistances aux insecticides (de la famille des pyréthrinoïdes) ont rendu les ravageurs incontrôlables dans certaines régions. Ces situations d’impasses techniques mettent en péril la culture. »

Pourtant, la demande en colza français n’a jamais été aussi prégnante. Saipol annonce se recentrer sur de la graine française pour sa production de biodiesel (lire ci-dessous) et prévoit, pour satisfaire de plus en plus de transporteurs et collectivités, de multiplier par cinq en un an sa toute nouvelle production d’Oleo100, cet ester méthylique d’huile de colza à 100 % utilisé pur dans les moteurs diesel.

Coc mise sur le local

La trituration de proximité se développe de son côté, notamment en Bourgogne (lire p. 33). En Auvergne, l’Ucal compte mettre sur pied une unité pour alimenter le marché local en tourteaux, voire en huiles alimentaires (lire ci-contre).

Coc, qui s’est lancée il y a un an justement dans la production d’huile à destination de l’alimentation humaine sur son site de Chalandray (Vienne), en plus de son activité biodiesel, peut témoigner de l’intérêt. « En à peine un an, ce nouvel atelier a déjà atteint son volume nominal de production : 30 000 tonnes, soit 33 millions de litres d’huile alimentaire, se félicite le DG, François Pignolet. Les bons résultats obtenus auprès des clients nous encouragent à nous orienter vers des productions d’encore plus grande qualité. » Un nouveau contrat pour le débouché « huile de qualité alimentaire riche en oméga 3 produite localement » a été présenté l’été dernier aux adhérents. Ils devront recourir aux produits de biocontrôle et choisir leur variété (tolérance phoma et sclérotinia pour réduire l’utilisation de fongicides) dans une liste précise. Enfin, l’usine est en train de s’équiper pour conditionner l’huile en bouteilles, et la proposer à la vente d’ici fin juin.

Renaud Fourreaux

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